Annie Chalon-Blanc

Annie Chalon-Blanc

Pour Gérard Vergnaud

 

 

 

 

 

Gérard Vergnaud nous quittait en juin 2021, le bulletin de psychologie vient de publier un numéro en son hommage (BP 75 (4), octobre-décembre 2022.

Annick Weil-Barais et Isabelle Vinatier organisatrices et rédactrices de ce numéro ont demandé aux nombreux thésards de Gérard de rédiger des articles-souvenirs dont elles ont sélectionné certains passages dans le chapitre « un directeur de thèse peu commun, mais pas seulement. »

On trouvera, ci-dessous, l’intégralité de mon bref article-souvenir. J’y rappelle avoir connu Gérard comme psychologue et non comme didacticien. Or, la didactique des mathématiques allait devenir son domaine privilégié, consacrant même sa fin de carrière à la reconversion difficile des adultes de faible niveau intellectuel. Mon bref article ne dira donc rien de ses recherches majeures.

Bien que nos intérêts aient évolué différemment, Gérard et moi avons gardé des rapports sympathiques. Sa photo publiée dans le BP m’a beaucoup émue. C’est difficile de côtoyer un homme simple, ouvert à des thématiques différentes, trop a-t-on souvent pensé, de le côtoyer pendant 30 ans et de devoir admettre qu’il n’est plus là.      

 

 

 

  Un directeur de thèse peu orthodoxe mais judicieux

 

 

Septembre 1975, École des Hautes Études en Sciences Sociales, je rencontre Gérard Vergnaud :

- Si vous voulez, vous pouvez travailler avec Pierre Gréco, nous coanimons les séminaires de DEA et de thèse, dit-il.

- Mais non, vous êtes le premier que je contacte, c’est bien ainsi.

Rétrospectivement, je peux assurer que c’était bien ainsi. J’ai pu bénéficier de la grande confiance que Gérard accordait à ses étudiants et de la haute exigence dont faisait preuve Gréco à leur égard. Gérard était alors un psychologue proche de Piaget, intéressé par les situations d’apprentissage de la logique et des mathématiques. Quand il deviendra un grand didacticien des mathématiques et qu’il infléchira le devenir de cette discipline, je ne serai plus son étudiante.

Des années que nous avons passées ensemble à l’EHESS (1975-1980), je garde le souvenir d’un homme simple, cheveux en bataille, pull-over tricoté, chemise ouverte. Son regard très vif pouvait devenir interrogateur, voire inquiet à l’écoute de l’autre si celui-ci s’aventurait sur un terrain inattendu. Alors, il serrait les mâchoires.

Très ouvert aux propositions des étudiants, il donnait de judicieux conseils.  Je ne sais plus lequel de nous deux a parlé le premier de logique des classes, mais à partir des dernières thèses sur ce thème qu’il m’a recommandées, j’ai trouvé mon sujet de recherche. Après avoir posé aux jeunes enfants, la question : « Est-ce que c’est les mêmes les rouges et les ronds ? » dans un référentiel où ces deux expressions désignaient les mêmes objets, leurs réponses m’ont tant intriguée que j’ai jugé utile de pousser plus loin l’investigation. Gérard m’a beaucoup encouragée et proposé de travailler sur des propriétés intrinsèques et extrinsèques (inscrites ou construites sur les objets). Le train était en route. Il lui fallait m’enseigner l’importance des groupes contrôle, des tableaux croisés, des calculs statistiques, bref la cuisine expérimentale tout en maintenant beaucoup d’intérêt et de compréhension à l’égard de mon travail. Il se montra, deux fois, de mauvaise humeur. La première, en dénonçant le style ampoulé d’un projet d’article que je lui avais soumis (il nous encourageait à publier vite, ce qui n'était pas fréquent à l’époque) ; la seconde, en vilipendant ma méconnaissance du terme « schème » qui allait devenir un concept-clé de sa future théorie. 

Me raccompagnant parfois en voiture, il parlait de ses cinq enfants. Comment faisait-il pour s’occuper d’eux, guider nos travaux, animer les séminaires, participer à des congrès et simplement vivre ? Je n’ai jamais compris.

Lorsque j’ai soutenu ma thèse, je souffrais du dos. Gérard est venu me chercher gentiment, m’a portée dans ses bras et emmenée à l’EHESS. Allongée sur une chaise de fortune, face à Pierre Gréco, à Jean-François Le Ny et à lui, j’ai baragouiné. Le lendemain, Gérard m’appelait, très ému, pour me féliciter.

Il ne savait pas qu’il m’appellerait, quatre ans plus tard, pour m’annoncer, très étonné, que je venais d’être élue à Paris 5 dans le département des Sciences de l’Éducation.

 

Nous sommes devenus collègues et nous nous sommes croisés sans plus jamais collaborer. J’ai continué à tenter de comprendre comment l’imitation devenait différée, un objet caché permanent, une quantité déformée invariante. Gérard s’est focalisé avec éclat sur l’analyse des pratiques d’enseignement et de formation. Car, iI souhaitait, avant tout, que ses travaux de recherche, et de tous ceux qu’il a formés, soient utiles aux enfants et adultes en difficulté (cf. BP 75, blog de Gérard Vergnaud).  

      

    

A.C.B.

 

 

Bibliographie

 

Bulletin de psychologie, tome 75 (4), octobre-Décembre 2022.

https://gerardvergnaud.wordpress.com/

 

 



04/12/2022
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